Je coiffe ce billet d'un titre énigmatique pour traiter d'un phénomène dont l'importance est sous-estimée: le lien privilégié qui peut exister entre un employé et un gestionnaire haut placé et qui permet au premier d'avancer dans l'organisation. Je ne parle pas ici de la relation formelle qui unit un employé à son chef d'équipe; je parle plutôt du rapport informel qu'un employé développe avec un membre de la direction qui veille sur sa carrière.
Pour l'employé choyé, cette relation apporte de nombreux bénéfices. Les conversations, même brèves, qu'il a avec son protecteur sont une source d'information privilégiée sur les initiatives de l'organisation et sur la manière de s'y insérer. Il peut apprendre, par exemple, qu'une équipe de travail sera bientôt créée pour mener à bien un projet d'envergure et il peut offrir d'y participer. Il peut aussi entendre parler avant tout le monde de l'ouverture prochaine d'un poste et exprimer son intention de postuler. Avec de la chance, son mentor informel sera membre du comité de sélection. Et si ce n'est pas le cas, il pourra quand même compter sur lui pour promouvoir sa candidature auprès des autres membres du comité. Car un mentor informel a un effet multiplicateur: il est la porte d'entrée sur un puissant réseau de dirigeants qui échangent fréquemment sur leurs protégés et qui ont à cœur leur avancement professionnel.
Pour égaliser les chances de succès, il faut formaliser l'informel, c'est-à-dire prendre la décision raisonnée de rééquilibrer les réseaux d'influence en y faisant entrer une juste proportion d'employés provenant des communautés marginalisées.
Certains employés héritent d'un mentor informel sans faire d'efforts particuliers. Comment cela est-il possible ? Simplement parce que les dirigeants ont tendance à choisir des protégés qui leur ressemblent. Ils se sentiront proches d'une personne qui partage la même identité et dont le parcours est semblable à celui qu'ils ont eux-même emprunté. Je ne vous apprendrai rien en vous rappelant que dans les organisations québécoises et canadiennes, la majorité des postes de direction est détenue par des hommes blancs. Ce n'est donc pas surprenant qu'un dirigeant blanc prenne naturellement sous son aile des hommes blancs.
De même, les dirigeantes blanches auront tendance à mentorer informellement des femmes blanches. Mais, différence notable, les recherches montrent que les dirigeantes sont plus inclusives que les dirigeants et qu'elles font plus souvent entrer dans leur réseau des gens issus des autres communautés traditionnellement désavantagées.
Quant aux rares dirigeants provenant de ces communautés, ils sont si peu nombreux qu'ils ne peuvent à eux seuls mentorer le grand nombre d'employés qui leur ressemblent et qui occupent surtout les niveaux inférieurs de la hiérarchie. Sans protecteurs, ces employés ne profitent pas des avantages que prodiguent les réseaux d'influence. Ça explique en grande partie pourquoi tant d'employés racisés, autochtones, LGBTQ ou en situation de handicap peinent à avancer professionnellement, se découragent et finissent par quitter l'organisation.
Pour égaliser les chances de succès, il faut formaliser l'informel, c'est-à-dire prendre la décision raisonnée de rééquilibrer les réseaux d'influence en y faisant entrer une juste proportion d'employés provenant des communautés marginalisées.
Comment y parvenir ? Une bonne façon est de remplacer le mentorat informel par un programme de mentorat formel. Le succès d'un tel programme dépend d'une série de conditions: d'abord, il vaut mieux l'ouvrir à tous les niveaux de la hiérarchie et pas seulement aux employés qui occupent déjà des postes de responsabilité. Le mentorat permet en effet de repérer des gens à haut potentiel qui, en l'absence d'un mentor, n'ont pas encore eu la chance de se faire valoir. Ensuite, bien que d'identités distinctes, le mentor et le mentoré doivent partager des intérêts communs. Enfin, si lors des premiers contacts «le courant ne passe pas» entre mentor et mentoré, il faut rapidement composer un nouveau duo.
Une organisation qui rebâtit volontairement ses réseaux d'influence peut espérer en tirer plusieurs gains. À court terme, tous les employés, peu importe leur identité, auront une chance égale de trouver un mentor. À moyen terme, l'organisation devrait noter une meilleure mobilisation et une plus grande rétention de son personnel. Et à long terme, au fil des promotions internes, la composition de son équipe de direction devrait se transformer pour ressembler davantage à celle des employés. À ce moment-là, l'appartenance à telle ou telle communauté devrait cesser d'être un moteur ou un frein à l'avancement de carrière.

Analyse intéressante