Le «tokénisme», c'est l'action de manipuler les gens pour faire croire qu'une organisation est sérieuse en matière de diversité alors qu'elle ne l'est pas vraiment. On dit «tokénisme» sous l'influence de l'anglais mais on pourrait aussi parler de diversité de façade.
Dans une entreprise qui agit de la sorte, les gestionnaires issus des communautés traditionnellement marginalisées se sentent particulièrement instrumentalisés. Car même s'ils se rendent compte que la diversité de leur organisation n'est qu'un décor de carton-pâte, ils se sentent obligés, parce qu'ils sont cadres, de faire semblant d'y croire et de relayer le message officiel.
Quelle forme peut prendre ce malentendu ? Prenons l'exemple d'une organisation qui annonce avec tambours et trompettes qu'elle veut atteindre la parité hommes-femmes dans son département technologique et qui commence par nommer une première femme dans l'équipe de direction. Prête à relever le défi, cette gestionnaire réalise cependant, dès les premières semaines suivant son entrée en poste, que ses collègues mâles lui accordent à peine la parole en réunion et qu'ils font de toutes manières peu de cas de ses propos. Puis elle découvre que les orientations les plus importantes de son secteur sont en fait prises en dehors des réunions, au cours de discussions informelles qui se déroulent exclusivement entre hommes.
On comprendra que cette gestionnaire privée d'influence réelle ne sera guère encline à recruter d'autres femmes pour qu'elles se retrouvent dans la même situation. Si la dynamique de pouvoir ne change pas, elle en arrivera à croire que l'objectif de diversité de l'organisation n'est que de la poudre aux yeux.
Une entreprise peut éviter de se placer ainsi en porte-à-faux si elle réalise une série d'actions pour soutenir les nouveaux gestionnaires issus des groupes d'équité. Cette catégorie comprend les femmes, les personnes racisées, les Autochtones, les membres de la communauté LGBTQ et les gens en situation de handicap.
La première action est que la haute direction explique clairement pourquoi elle juge important de diversifier l'effectif des gestionnaires. Elle peut vouloir répondre aux attentes des citoyens, des clients, des actionnaires ou des employés. Elle peut aussi chercher à améliorer la performance de l'entreprise. Diverses études, dont celles publiées par la firme McKinsey&Company en 2015 et en 2018, ont établi une relation de cause à effet entre une équipe de gestion représentative et l'amélioration du rendement de l'entreprise. Le rééquilibrage de la gestion peut être l'expression de valeurs modernes et mais il est aussi un gage de rentabilité. Cela doit être exprimé publiquement et répété régulièrement.
La deuxième action, qui doit également émaner de la haute direction, est de bâtir un réseau d'appui pour les gestionnaires issus des groupes marginalisés. Chaque membre de la haute direction devrait prendre sous son aile un nouveau cadre de cette catégorie pour le guider dans sa carrière. Cela permettrait de contrebalancer le mentorat, formel ou non, dont profitent abondamment les gestionnaires masculins blancs parce qu'ils ont le pouvoir du nombre. N'oublions pas que, selon Statistique Canada, les trois-quarts des gestionnaires canadiens sont des hommes blancs.
Troisièmement, l'organisation doit contrer le harcèlement dont les nouveaux gestionnaires issus des groupes d'équité pourraient être la cible. Les employeurs québécois ont déjà l'obligation juridique de prévenir le harcèlement psychologique et, quand il survient malgré tout, de traiter les plaintes qui en résultent. Il faut prêter une attention spéciale aux insinuations malveillantes à l'endroit des gestionnaires qu'on accuserait à tort d'avoir d'avoir obtenu leur poste uniquement parce qu'ils appartiennent à un groupe d'équité.
Quatrièmement, il faut que les cadres majoritaires, les hommes blancs, acceptent et soutiennent les nouveaux-venus issus des communautés traditionnellement marginalisées.
Tout comme les membres de la haute direction, ils peuvent exercer le rôle de mentors pour guider les nouveaux cadres. Pour surmonter la résistance au changement de certains gestionnaires de la majorité, il faut leur expliquer comment le succès de l'entreprise dépend du rééquilibrage de la classe des gestionnaires.
La cinquième action, c'est de confier aux gestionnaires masculins blancs la tâche de démanteler les barrières systémiques qui nuisent à la progression professionnelle des communautés désavantagées. Les gens provenant de ces communautés rencontrent ces barrières à chaque étape de leur carrière, de leur entrée en poste jusqu'à leur retraite. On peut demander aux gestionnaires issus de la diversité d'identifier les barrières avec lesquelles ils sont familiers mais on ne devrait pas exiger d'eux qu'ils les lèvent, car ce ne sont pas eux qui les ont érigées. La responsabilité d'un gestionnaire de la diversité devrait se limiter à soutenir son équipe et à relayer les politiques, mais sans focus sur la diversité.
Les actions que je viens d'énumérer peuvent aider nos organisations à prévenir et à chasser le «tokénisme». Mais le meilleur moyen d'empêcher définitivement son retour est de constituer un effectif de gestionnaires représentatif des employés.
Dans un futur billet, je vous proposerai quelques manières de s'y prendre.
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